L'éveil sur les plans mental, affectif et viscéral selon Adyashanti (4)

Publié le par Laurent Caigneaux

L'éveil sur les plans mental, affectif et viscéral (4)

 

 

 

adyashanti

 

 

 

 

L’éveil sur le plan viscéral


Le troisième type d’éveil est éprouvé viscéralement. Le plan instinctif concentre notre sentiment d’identité le plus existentiel. C’est une partie de nous-mêmes où réside une saisie primaire – l’attachement à notre racine, un peu comme un poing serrant les viscères. Il s’agit de notre conception d’un moi la plus rudimentaire. C’est autour de cette saisie et de cette contraction que se construisent les autres identités.

 

Lorsque l’Esprit – ou la conscience – prend forme, lorsqu’il se manifeste, c’est initialement un choc. Ce passage subit d’un potentiel illimité à l’expérience circonscrite de la forme humaine est traumatisant pour la conscience. Cette contraction – ce choc éprouvé physiquement constitue la saisie viscérale.

 

Pour vous figurer ce que je décris, imaginez que vous êtes en train de naître. Vous émergez d’un environnement totalement protégé, chaud, maternel pour vous retrouver brusquement dans une salle plus froide que votre nid douillet, une salle éclairée par des lumières crues et remplie de voix tonitruantes. Quelqu’un vous attrape, tire sur vous. Voilà votre entrée dans l’existence, dans la vie hors de la matrice. Ce scénario permet de comprendre aisément pourquoi ce bébé naissant développe un nœud dans l’abdomen. L’arrivée en ce monde est si brutale, soudaine et inattendue qu’elle provoque ce genre de saisie.

 

En plus du choc initial résultant du fait d’avoir pris forme, plusieurs expériences viendront consolider cette saisie viscérale tout au long de votre vie. Dans l’enfance ou en grandissant, la plupart d’entre vous vivent des événements qui poussent quelquefois à la contraction par peur ou à cause d’un traumatisme. Ces événements exacerbent la saisie sur le plan viscéral. Comment aborder cette saisie? Comment la gérer? Pour finir, vous devrez affronter la crainte de cette saisie, constituée d’une réaction de peur. Un peu comme si un poing empoignait votre abdomen en hurlant: « Non, non, non, non! Non à la vie! Non à la mort! Non à l’existence! Non à la non-existence! Non, non, non, je veux m’accrocher! Je veux m’y tenir! Je ne veux pas lâcher prise! «

 

Même le mouvement vers l’éveil peut susciter la peur. À son approche, il est normal de tressaillir, car l’illumination libère cette saisie viscérale. Rien n’assure que cette délivrance de la saisie perdurera; elle pourrait reprendre. Initialement, pourtant, l’éveil libère cette saisie. À son approche, on éprouve intuitivement une constriction et un attachement encore plus intense, comme si la mort, ou l’anéantissement, était imminente. Une frayeur irrationnelle s’élève dans l’organisme. Quand quelqu’un me divulgue ce genre d’expérience, je précise qu’elle est normale, que la majorité des gens la vivent à un moment ou à un autre. « Ce n’est pas un problème. Vous prenez simplement conscience d’une saisie dont vous ignoriez l’existence. »

 

Sur ce, la question suivante sera: « Comment puis-je m’en défaire? » Celle-ci se pose depuis la perspective de la conscience de l’ego, qui cherche toujours à se délester de ce qui est désagréable. Et, bien sûr, tout ce dont on cherche à se débarrasser tend à s’incruster. La tentative même de se débarrasser d’une chose la perpétue. Ce rejet lui accorde inconsciemment une réalité. Si vous essayez de la réprimer, c’est que vous la percevez comme réelle. Ainsi, cette perception d’une réalité donne de l’énergie précisément à ce dont vous cherchez à vous défaire. Aucune méthode n’est susceptible de résoudre ce type d’attachement. En un sens, votre réalisation la plus importante sera de prendre conscience qu’il n’y a rien à faire.

 

La question « Que faut-il faire? » est une tentative détournée pour maîtriser la situation. Le lâcher-prise constitue l’unique antidote à cette obstination. Néanmoins, la situation est délicate, car même l’effort en vue de lâcher prise est intrinsèquement un acte de volonté personnelle.

 

Tout le monde a sans doute essayé un jour de lâcher prise ou de s’abandonner. Effort et abandon sont toutefois mutuellement exclusifs. Tant que nous nous efforçons, il n’y a pas de lâcher-prise. Vient donc un temps où toute technique disparaît, où toute méthode visant à réajuster la conscience sur un état plus clair échouera. Nos modalités ne serviront plus à rien. Un temps viendra où il faudra comprendre que le « moi » ne peut rien faire en vue de lâcher prise sur un plan existentiel, qu’il n’a rien à faire pour s’abandonner. Et pourtant, l’abandon et le lâcher-prise sont impératifs.

 

À ce stade, il faut d’abord et avant tout assimiler un fait: ni le « moi » ni le « je » n’y peuvent rien. Intégrer ce principe, laisser cette cognition vous pénétrer, constitue l’ultime lâcher-prise; c’est le poing qui s’ouvre, le dégagement du sentiment du moi le plus existentiel, le plus rudimentaire. Et pour arriver à cela, il faut comprendre qu’il vous est impossible d’y parvenir. Vous devez atteindre le bout de la route, le bout de votre corde. C’est seulement alors qu’un abandon spontané surviendra. La seule chose à faire, en tant qu’être humain, c’est de concevoir que toute forme d’attachement est futile, que toute forme d’attachement est un rejet de ce que nous sommes, de qui nous sommes.

 

En renonçant à cette saisie viscérale, vous aurez l’impression de mourir. Malgré tout, vous ne mourez pas; seule l’illusion d’un moi distinct périt. Vous croyez pourtant devoir mourir. C’est uniquement lorsque vous êtes prêt à mourir au nom de la vérité que se relâchera vraiment cette saisie.

 

Avant d’aller plus loin, j’aimerais aborder un point concernant certaines personnes. Des gens connaissent des épreuves très amères au cours de leur vie – ils ont vécu des traumatismes qui ont pu provoquer une saisie encore plus intense sur ce plan primordial de l’être. Chez ces individus, la saisie instinctive se consolide à mesure qu’ils accèdent à des états de conscience plus profonds. Si vous êtes de ceux-là, vous devez surtout ne rien forcer. Vous aurez peut-être besoin d’une aide professionnelle pour aborder cet aspect de l’éveil; mieux vaut traiter le traumatisme vécu pour être en mesure de lâcher prise. Si cela vous concerne, je vous suggère de trouver un spécialiste qui sait s’y prendre avec ces expériences et comment les gérer efficacement. Si l’approche de ce professionnel vous convient, elle apportera des résultats. Ce plan primordial de la saisie se relâchera peu à peu.

 

Bien sûr, pour nous tous il est plus ou moins traumatisant de grandir. En dépit d’une enfance merveilleuse, de parents adorables et d’un cadre familial formidable, les traumatismes surviendront. La vie est en soi un traumatisme; elle est perturbante pour le moi distinct. L’existence met en péril le sentiment d’un moi séparé.

 

 

Impossible d’y échapper.

 

L’éveil sur le plan viscéral exige d’affronter toute peur existentielle la plus primaire et de s’en libérer. Il demande d’affronter ce que je nomme volonté personnelle ou ce qui en nous revendique « Voilà ce que je veux et c’est ainsi que je le veux. » Il demande aussi de s’affranchir de tout cela. Ultimement, la notion de volonté personnelle est illusoire, et c’est pourquoi il est si frustrant d’y faire appel pour se rendre maître et dicter le cours des événements. Illusion ou pas, il faut l’affronter et le gérer. Cet accomplissement requiert le plus grand abandon, la dévotion la plus fervente et un engagement sincère à la vérité.

 

La réalisation authentique, l’illumination vraie, résulte du renoncement intégral à la volonté personnelle – un lâcher-prise inconditionnel. Il va sans dire que cette capitulation effraie notre moi illusoire, qui ne peut que l’interpréter comme un traumatisme. Nous craignons que le fait de lâcher prise nous mette en péril. Nous croyons que si nous renonçons à la volonté personnelle, nous n’obtiendrons jamais ce que nous désirons, que le monde ne sera jamais comme nous le souhaitons et que rien ne se passera jamais selon notre bon vouloir. Pour finir, nous constatons que ces conclusions ne sont que des pensées. Dans les faits, la volonté personnelle n’existe pas. Jusqu’à ce que nous le comprenions toutefois, nous devrons subir les caprices de la volonté. Voilà où nous approchons de la sagesse de la désillusion, laquelle marque le terme de l’entêtement. Ce n’est qu’en y parvenant que survient la transformation.

 

Les victimes de dépendance à la drogue ou à l’alcool qui s’en sont tiré savent qu’un facteur capital de la désintoxication consiste à en finir avec la volonté personnelle. Elles comprennent qu’il est impossible de transformer la dépendance par un effort de volonté, que cette dernière ne suffit pas et que la personne ne peut s’en tirer seule. Lorsqu’un toxicomane « touche le fond « , cela signifie que sa volonté personnelle s’est effondrée. Et lorsque cette faculté s’estompe, une force tout autre jaillit dans l’organisme: celle de l’Esprit. Cette force peut désormais opérer, car la volonté personnelle ne la réprime plus.

 

Au fil du processus d’éveil, nous affronterons tous les limites de notre volonté personnelle. Pour la plupart, à maintes reprises, de plus en plus profondément, jusqu’à ce qu’elle soit complètement anéantie. Perdre toute volonté personnelle n’est pas vraiment une perte. Nous ne devenons pas pour autant le paillasson de l’humanité, nous ne perdons pas notre capacité de savoir quoi faire et comment le faire. Bien au contraire. En renonçant à l’illusion de volonté personnelle, un tout autre état de conscience voit le jour en nous; nous renaissons. Une résurrection s’élève du tréfonds de notre être. Comme bon nombre de phénomènes spirituels, cette résurrection est difficile à expliquer, mais, essentiellement, nous sommes désormais animés par la complétude et l’intégralité de l’existence.

 

Le taoïsme, concentré sur l’expression du tao ou de la vérité en l’être humain offre une représentation très vivace de ce mouvement. En parcourant le Tao-ta-king, en étudiant quelques-uns des enseignements taoïstes, on pressent comment, à la volonté, se substitue un flux.

 

Si vous renoncez à être aux commandes, vous découvrez que la vie opère d’elle-même, qu’elle a toujours été aux commandes. Si vous cessez d’être aux commandes, la destinée se conduit beaucoup plus facilement – elle s’écoule de manière inconcevable. Elle devient presque magique. L’illusion du « moi » ne fait plus obstacle. La destinée afflue; vous ne savez jamais où elle vous conduit.

 

À mesure que leur volonté personnelle s’estompe, les gens reconnaissent « qu’ils ne savent même plus prendre une décision », car ils agissent de moins en moins depuis un point de vue personnel. Un nouveau mode opératoire existe, qui ne nécessite pas la prise de décisions appropriées ou erronées. Il s’agit davantage de naviguer au fil du courant. Vous pressentez la direction des événements, ainsi que l’action appropriée, comme une rivière qui sait contourner une pierre – à gauche ou à droite. Il s’agit d’un savoir intuitif et inné. Ce type de courant s’offre à nous constamment, mais nous sommes, pour la plupart, trop égarés dans les complexités de notre pensée pour pressentir ce courant naturel et tout simple de la destinée. Sous le tumulte des idées et de l’émotion, sous l’empoigne de la volonté personnelle, un courant circule. La vie possède un mouvement simple.

 

Anthony de Mello, un prêtre jésuite décédé il y a environ vingt ans a donné l’une des définitions de l’illumination que je préfère à toute autre. On lui a demandé de définir son expérience de l’illumination et il a répondu: « L’illumination est la collaboration absolue avec l’inévitable. » J’adore cette définition, car elle présente l’éveil non seulement comme une réalisation, mais aussi comme une activité. L’illumination, c’est tout ce qui, en nous, collabore avec le courant de l’existence, avec l’inévitable.

 

Le conflit intérieur diminuant, la dualité s’estompant, nous pressentons l’inéluctable – le mouvement de l’existence, sa direction. Nous ne nous interrogeons plus: « Est-ce approprié? Comment savoir si c’est la bonne ou la mauvaise voie? » Ce type de questionnement déforme notre perception. Quelque chose de plus subtil a cours : le courant même de l’existence.

 

Renoncer à l’entêtement – affronter notre peur viscérale et consentir sincèrement à ce que nous redoutons – donne accès à tout ce dont je parle. Il suffit d’un oui simple et sincère à la vie, à la mort, à la dissolution de l’ego; il n’y a plus à se débattre. Cette attitude devient un nouveau mode de navigation au fil de la vie. Le courant nous dirige – pas les concepts, ni les idées, ni ce que nous sommes censés faire ou éviter, ni ce qui est bien ou mal. Avec le temps, nous comprenons que ce flux est toujours extraordinaire. Il exprime l’unité, oriente notre existence vers la guérison et l’amour, et réunit les choses de manière inconcevable.

 

par Adyashanti.

Extraits de son livre La fin de notre monde – La vraie nature de l’illumination, page 117 à 141, Editions Ariane 2010


 


Publié dans Inspirations

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